« Succession d’Alain Delon : comment contester un testament ? »

 

 

26 septembre 2025

Propos recueillis par Annabelle Pando, pour Actu-Juridique

 

Stéphane Micheli avocat successions famille

 Stéphane Micheli

 

Un an après le décès de l’icône du cinéma français, ses héritiers se déchirent sur l’héritage. Un des enfants d’Alain Delon remet en cause un testament. Stéphane Micheli, avocat associé en droit des successions au sein du cabinet Herald décrypte cette action ouverte à tous les ayants droit. Explications.

 

Mort en août 2024 à 88 ans, Alain Delon, laisse trois enfants qui se livrent une bataille féroce dans une guerre de succession. Dernier acte : Alain-Fabien Delon, le fils cadet de la star, a saisi la justice en septembre dernier, pour demander l’annulation d’un testament rédigé en 2022. Cette action soulève des questions juridiques fréquentes en droit des successions. Explications de Stéphane Micheli, avocat associé en contentieux successoral au sein du cabinet Herald.

 

Actu-Juridique : Que sait-on des derniers éléments de l’affaire de la succession d’Alain Delon ?

 

Stéphane Micheli : D’après les grandes lignes dévoilées par la presse (Le Monde, 2 septembre 2025), le fils cadet d’Alain Delon (Alain-Fabien Delon) remet en cause deux libéralités : le second testament de la star signé le 24 novembre 2022 en Suisse, à Genève qui attribue le droit moral de son père à sa sœur Anouchka Delon, et la donation des titres de société qui détient la marque et les droits à l’image d’Alain Delon, consentie, en février 2023 à Anouchka Delon.

 

AJ : Quels sont les griefs portés contre les libéralités ?

 

Stéphane Micheli : De ce que l’on comprend, Alain-Fabien Delon considère que, à la suite de son accident vasculaire cérébral en 2019, son père n’avait pas toutes ses facultés cognitives pour réaliser de tels actes sans en mesurer la portée. Il revendique donc la nullité de ces libéralités au motif que son auteur était dans une situation d’insanité d’esprit. L’article 901 du Code civil prévoit en effet que « Pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit ». L’insanité d’esprit est sanctionnée par la nullité relative de la libéralité. Cette action en nullité est encadrée dans le temps : l’héritier a un délai de cinq ans à compter du décès du disposant pour agir, à moins qu’il n’ait découvert le vice que postérieurement à cette date (article 2224 du Code civil). Il appartient en effet à l’héritier qui agit en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de la rédaction du testament (article 414-1 du Code civil). Si cette preuve est apportée, le testament est annulé judiciairement, les legs sont réintégrés à la succession et repartis selon les règles de la dévolution légale.

 

AJ : Sur quoi fonde-t-il son action ?

 

Stéphane Micheli : Manifestement, l’héritier contestataire se fonde sur des documents médicaux. Après le décès de leurs parents, les enfants du défunt peuvent, par l’effet de la loi, obtenir que leur soit transmis le dossier médical de leur parent, sous réserve d’une opposition exprimée par le défunt de son vivant, selon l’article L. 1111-7 du Code de la santé publique. Le secret médical ne peut leur est opposé. L’héritier contestataire estime que ces documents révèlent l’insanité d’esprit de son père. Selon la jurisprudence, depuis 1941, l’insanité d’esprit s’entend « de toutes les variétés d’affections mentales, par l’effet desquelles l’intelligence du disposant aurait été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée ». Aujourd’hui, on parle d’altération du jugement et de la faculté de discernement.

 

AJ : Comment le juge apprécie-t-il cette circonstance ?

 

Stéphane Micheli : Pour la Cour de cassation, il revient aux juges du fond de procéder à une appréciation au cas par cas. Tous les troubles n’entraînent pas la nullité. Il faut démontrer qu’ils sont d’une gravité telle qu’ils ont empêché la personne de prendre des dispositions par testament ou donation. De plus, les troubles doivent être constants. En effet, la Cour de cassation admet que le disposant ait pu connaitre, au cours de ses troubles cognitifs, y compris par exemple en cas d’atteinte de la maladie d’Alzheimer, des « intervalles de lucidité ». Il revient au bénéficiaire du testament de prouver que les dispositions ont été prises au cours d’un tel moment de lucidité. En pratique, le tribunal peut nommer un expert – un médecin gériatre – pour faire une analyse rétrospective des pièces du dossier médical, au vu des médicaments qu’il prenait, des troubles qu’il présentait, etc. Les attestations de l’entourage vont également renseigner sur l’état de la personne (besoin d’assistance, perte de repères, non-reconnaissance des proches, etc.). Dans ces affaires, tout est question de preuves. L’héritier contestataire pourrait également déposer une plainte pénale pour abus de faiblesse s’il considère que son père a été manipulé par son entourage pour établir son testament ou une donation (article 223-15-2 du Code pénal). Il appartiendra alors au tribunal correctionnel in fine d’apprécier les éléments de preuve qui lui seront soumis et éventuellement entrer en voie de condamnation et prononcer la nullité des dispositions.

 

AJ : Quels sont les effets de la mise en place d’une mesure de protection judiciaire ?

 

Stéphane Micheli : Tout dépend de la mesure de protection. Une personne placée sous tutelle, ne peut tester qu’avec l’autorisation du juge de la protection ou du conseil de famille (article 476 du Code civil). Une personne sous curatelle, peut, quant à elle, librement tester sauf, bien sûr, en cas d’insanité d’esprit (article 470 du Code civil). D’autre part, le sort d’un testament passé avant la mise en place de la mesure de protection est concerné par cette mesure. En effet, le testament passé dans les deux années précédant le jugement d’ouverture de la mesure de protection peut être suspecté d’avoir été passé sans le discernement nécessaire à leur validité. C’est pourquoi, la loi prévoit qu’il puisse être annulé dès lors que l’altération des facultés mentales du testateur ayant déterminé l’ouverture de la tutelle était notoire pendant cette période suspecte, et si le majeur protégé a subi un préjudice (article 464 du Code civil). Il en va de même avec l’habilitation familiale (article 494-9 du Code civil).

 

AJ : Est-ce qu’un testament authentique peut être contesté ?

 

Stéphane Micheli : Oui, toujours. Lorsqu’ils dressent un testament authentique d’une personne âgée, les notaires demandent de plus en plus souvent un certificat médical circonstancié qu’ils annexent au testament pour justifier de la capacité de la personne à tester, dire et exprimer sa volonté. Sur cette base, un testament authentique est certes plus difficile à contester, mais il ne lie pas les tribunaux.

 

AJ : Dans votre pratique, constatez-vous une augmentation des conflits familiaux ?

 

Stéphane Micheli : Oui, de mon point de vue, la question de l’héritage et de sa répartition déclenche plus facilement des conflits, et partant, des actions en justice, qu’auparavant. J’y vois plusieurs facteurs d’origine différente. Tout d’abord, l’espérance de vie ; son allongement ne signifie pas pour autant que les capacités cognitives sont préservées dans le très grand âge. Ensuite, les reconfigurations familiales expliquent aussi cette tendance aux successions conflictuelles, particulièrement nette dans les familles recomposées. Il est fréquent que les hommes en fin de vie et diminués cherchent à favoriser leur nouvelle épouse, ou en tout cas la personne qui leur sert de « bouée » comme disent les gériatres, dans ce moment de dénuement physique et psychique. Les dispositions en faveur de cette seconde épouse sont souvent mal perçues par les héritiers du défunt, enfants issus d’une précédente union. Enfin, il n’est pas rare aussi de voir que des proches du défunt aient profité, voire abusé d’une certaine générosité en fin de vie.

 

AJ : Comment se prémunir de ces conflits ?

 

Stéphane Micheli : On peut donner deux types de conseils. Les premiers s’adressent aux enfants tout d’abord : il ne faut pas hésiter à contrôler l’environnement de vie de son parent âgé, par là je pense aux personnes qui l’entourent de près ou de loin. S’intéresser à la vie de son parent permet d’éviter des mauvaises surprises et de déceler les mauvaises intentions. En pratique, ne pas hésiter non plus à mettre en place des procurations sur les comptes bancaires de son parent ; cela permet de suivre les opérations et de ne pas les confier à quiconque serait susceptible de commettre un détournement d’héritage.

Enfin, aux parents, dans la mesure du possible, les conflits peuvent être évités par l’organisation en amont de sa succession, par exemple en procédant à une donation-partage. Cela suppose des relations entre enfants et parents en bonne intelligence. Il est vrai que dans les procès, je constate souvent une rupture entre l’héritier et son parent défunt.