Durées maximales de travail, ou la résurrection du préjudice nécessaire

 

 

Par Guillaume Roland et Hugo Tanguy le 9 juin 2023

 

Au début des années 1990, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait dégagé par une série d’arrêts, un principe dit du « préjudice nécessaire », selon lequel certains manquements de l’employeur à ses obligations contractuelles causaient nécessairement un préjudice au salarié sans qu’il soit attendu de celui-ci qu’il en démontre l’existence et l’étendue.

Par un arrêt de revirement du 13 avril 2016, suscitant l’émoi de tous les praticiens du contentieux social, et maintes fois confirmé depuis, la haute juridiction a finalement abandonné cette jurisprudence de principe, estimant désormais, sur le modèle du droit civil général, que l’existence et l’évaluation d’un préjudice relèvent de l’appréciation souveraine des juges du fond, de sorte que le salarié doit apporter aux débats des éléments justificatifs du préjudice qu’il estime avoir subi.

La Cour admet cependant, au compte-gouttes, certaines exceptions, permettant au salarié d’obtenir une indemnisation sans avoir à rapporter la preuve de son préjudice.

C’est notamment le cas en matière de dépassement des durées maximales du travail.

Au début de l’année 2022, déjà, la Chambre sociale a estimé que le dépassement de la durée maximale hebdomadaire de travail, cause nécessairement un préjudice au salarié (Cass. Soc., 26 janvier 2022, n°20-21.636).

Nous vous en avions parlé dans notre précédent numéro du 18 février 2022.

Elle a réitéré cette solution s’agissant des durées minimales de repos quotidien et hebdomadaire (Cass. Soc., 14 décembre 2022, 21-21.411).

Par un arrêt récent du 11 mai 2023*, elle applique désormais le principe du préjudice nécessaire au dépassement de la durée maximale quotidienne de travail.

Dans cette affaire, la Cour d’appel avait débouté la salariée de sa demande de dommages et intérêts pour dépassement de la durée maximale quotidienne de travail de 10 heures, estimant que si le dépassement était avéré, il n’était pas démontré que celui-ci lui avait causé le moindre préjudice.

Invoquant la « garantie de la sécurité et la santé des travailleurs par la prise d’un repos suffisant et le respect effectif des limitations de durées maximales de travail » assurée par le droit de l’Union européenne (notamment la Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003), la Cour de cassation censure cette décision, considérant que « le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à la réparation ».

 

Notre avis : Si le préjudice nécessaire n’est plus un principe jurisprudentiel général, la Chambre sociale n’hésite plus à le distiller par touches d’impressionniste pour les manquements les plus graves de l’employeur (par exemple, le défaut de mise en place des institutions représentatives du personnel, et désormais, le manquement à l’obligation de sécurité).

Soyez vigilants à ne pas dépasser les durées maximales de travail et à respecter strictement les durées de repos, et ce même si vos salariés n’émettent aucune protestation, voire même y consentent…

 

* Cass. Soc., 11 mai 2023, n°21-22.281

 

 

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