Zalando est une très grande plateforme en ligne au sens du DSA

 

16 septembre 2025

Le Monde du Droit

 

Richard Milchior avocat Propriété intellectuelle et industrielle

Richard Milchior

 

Un arrêt de la Cour de justice concernant le règlement 2022/2065 (connu sous le nom de DSA) et confirmant la désignation de Zalando comme « très grande plate-forme en ligne » au titre de l’article 33. § 4 du DSA vient d’être rendu (T.348/23 Zalando/Commission, 3 septembre 2025.). 

 

Constitue une très grande plate-forme en ligne une plate-forme ayant un nombre mensuel moyen (NMM) de destinataires actifs du service dans l’Union égale ou supérieure à 45 millions. La question était de savoir ce qui devait être pris en compte pour calculer le NMM.

Zalando exploite une boutique en ligne dans laquelle les clients peuvent acheter des produits vendus directement par elle, dans le cadre du service de vente. « Zalando Retail » ou par des vendeurs tiers dans le cadre du « Partner Program »

Zalando avait déclaré que le NMM de la plate-forme prise dans son ensemble (Zalando Retail et Partner program) était de 83,341 millions et que la valeur brute des produits vendus dans le cadre du « Partner Programm » était de 37 % de l’ensemble de la valeur brute des produits commercialisés par la plate-forme. Zalando avait donc estimé que le NMM de la plateforme représentait 37 % du montant global indiqué ci-dessus, (30,386 millions) soit moins de 45 millions.

Zalando soutenait qu’afin de déterminer le NMM, il ne fallait tenir compte que des « destinataires » ce qui excluait du décompte les clients directs de Zalando Retail.

La décision attaquée de la Commission du 25 avril 2023 prit notamment en compte le fait qu’il n’était pas possible d’identifier parmi les destinataires du service, ceux qui n’étaient exposés qu’aux informations relatives aux produits de la requérante et ceux exposés aux informations des vendeurs tiers. Elle rejeta ainsi tout calcul fondé sur la valeur brute des ventes et non sur  le décompte des « destinataires ». Le chiffre de 83,341 millions fut retenu et Zalando qualifié de très grande plate-forme.

 

*Le Tribunal eut d’abord, à déterminer la qualification s’appliquant à la plate-forme Zalando.

Cette partie de l’arrêt est peut-être celle ou le raisonnement du Tribunal est le moins clair.

Il précise d’abord que la Commission devait d’abord déterminer si la plate-forme constitue une plate-forme en ligne au sens de l’article trois, sous i) du règlement DSA, plateforme qui représentent une catégorie spécifique des services d’hébergement qui eux-mêmes figurent parmi les services intermédiaires. Il distingue, pour ce faire, la vente directe de produits qui ne relève pas d’un service d’hébergement, puisque ce service stocke uniquement les informations provenant de la requérante, des partenaires pour lesquels la requérante utilise des informations des vendeurs tiers pour commercialiser les produits.

Il précise aussi que les dispositions sur la responsabilité des fournisseurs de services intermédiaires ne sauraient être utilisées pour déterminer si la plate-forme en question était une très grande plate-forme en ligne. D’une façon qui ne simplifie pas forcément l’application du droit européen, le Tribunal a jugé que la notion de prestataire intermédiaire utilisé pour mettre en œuvre l’article 14 de la directive 2000/31, (directive e-commerce) ne saurait être utilisé pour interpréter le règlement DSA qui a son propre régime de responsabilité.

Le Tribunal a ensuite relevé que la plate-forme stocke et diffuse des informations fournies par les destinataires du service dans le cadre du « Partner Programm » et ce sans qu’il ait été allégué qu’il s’agisse d’une caractéristique mineure et accessoire d’un autre service. Le Tribunal a donc retenu que la plate-forme était une plate-forme en ligne au sens de l’article trois, sous i) du règlement DSA dès lors que des vendeurs tiers y commercialise des produits et, en conséquence constitue également un service intermédiaire et un service d’hébergement au sens de l’article trois, sous g) iii ) du même règlement.

 

* Une fois ce constat effectué, il convenait de rechercher si le NMM était ou non inférieur à 45 millions.

Le Tribunal rappelle qu’un destinataire actif d’une plate-forme en ligne est un destinataire du service qui a été en contact avec la plate-forme, soit en lui demandant d’héberger des informations, soit en étant exposé aux informations hébergées par la plate-forme et diffusé via son interface en ligne.

Cela signifie bien que cette notion inclut non seulement les personnes ayant effectué des transactions, mais aussi celle exposée aux informations fournies par le tiers, tel que le nom des produits, leurs descriptions et photographies.

Allant plus loin, le Tribunal a noté que pour certains produits commercialisés en parallèle par la plate-forme et par des vendeurs tiers, la présentation des produits est uniforme et indépendante de l’identité du vendeur. Le Tribunal en a déduit que le consommateur peut prendre connaissance d’information fournie par des vendeurs tiers avant d’acheter ou non des produits proposés par la plate-forme La conséquence est dès lors que le nombre d’actifs ne peut être calculé de façon proportionnelle par rapport à la valeur brute des ventes générée, par les tiers, dans le cas du « Partner program ».

Le Tribunal a ensuite rejeté l’argument fondé sur le fait que, pour être qualifiée de destinataire actif, la personne doit être « effectivement » exposée à des informations et non uniquement exposé à celle-ci.

Le Tribunal impose ici un niveau de preuve qui peut être très coûteux financièrement pour la plateforme et technologiquement difficile à mettre en œuvre. Il indique en effet que Zalando aurait dû identifier les personnes « effectivement » exposées auxdites informations, ce que Zalando reconnaît ne pouvoir faire. Dès lors, cette impossibilité de prouver une exposition «  effectif» peut être fondée sur la conception de la plate-forme, qui existait avant l’entrée en vigueur du DSA, justifie de retenir un NMM de 83,341 millions supérieurs donc à 45 millions.

 

* Le Tribunal dut ensuite examiner une exception d’illégalité à l’encontre de l’article 33§1 et 4 du règlement, et ce, tout d’abord pour violation du principe de sécurité juridique.

Ce moyen fut rejeté, notamment en raison du fait qu’un certain degré d’incertitude quant au sens et à la portée de la notion de destinataire actif d’une plate-forme en ligne est inhérent à celle-ci.

Ensuite Zalando s’était fondé sur le fait que différents fournisseurs de plate-forme en ligne comptabilisaient différemment le NNM, ce qui n’a pas été retenu par le Tribunal qui préfère que les mêmes modalités de comptabilisation s’appliquent à tous[1] . Une discussion intéressante concernait la question de savoir quelle était la durée minimale pendant laquelle le destinataire du service doit rester sur la plate-forme pour être comptabilisé en tant que destinataire.

Le Tribunal retient que Zalando avait pris en compte une durée minimale de 10 secondes et n’avait pas développé d’argumentation tendant à démontrer qu’une telle durée ne permettait pas de considérer qu’un destinataire du service avait pu être exposé aux informations provenant de vendeur tiers ou avait été choisie de manière arbitraire dans le seul but de respecter l’article 24 du D.SA.

Un autre argument était tiré du fait que, pour déterminer les montants à payer par Zalando au titre de la redevance dite de surveillance fixée par l’article 43 du DSA, la Commission avait considéré que le NMM s’élevait à 47,5 millions et non 83,341 millions. Le Tribunal a relevé qu’afin de fixer cette redevance, la Commission peut se fonder aussi bien sur le NMM publié au titre de l’article 24 du règlement, soit en l’espèce 83,341 millions ou toute autre information disponibles au 31 août de l’année pour laquelle la redevance doit être versée. La Commission a ensuite déterminé le montant de la redevance de surveillance en appliquant des règles de calcul identiques à toutes les plates-formes[2]. Cela a conduit à un NMM de 47,5 millions pour Zalando. Même si les estimations à partir d’information fournies par de tiers ne sont pas nécessairement aussi fiables que celles provenant de la requérante, cela ne suffit pas pour considérer que la notion de « destinataire actif d’une plate-forme en ligne » n’est pas suffisamment précise au titre du principe de sécurité juridique

Le fait que le DSA ait prévu la possibilité d’adopter des actes délégués ne peut suffire à démontrer l’ambiguïté du règlement. En effet, cette ambiguïté pourrait seulement venir du fait que son application violerait le principe de sécurité juridique[3].

Il était également soutenu que l’article 33 paragraphe un viole le principe d’égalité de traitement et ce parce que le caractère insuffisamment précis de la notion de destinataire actif d’une plate-forme en ligne conduit les fournisseurs de plate-forme et la Commission à déterminer le NMM de manière différente selon la plate-forme concernée. En réponse, le Tribunal souligne que Zalando n’a pas démontré que les précisions du règlement DSA étaient insuffisantes pour déterminer le NMM d’une plateforme en ligne. De plus, Zalando n’a pas non plus prouvé qu’une autre plateforme aurait pu être désignée comme une très grande plateforme en ligne à cause d’une ambiguïté dans le règlement. En outre, le Tribunal a retenu, de manière normale, que l’argument selon lequel d’autres plates-formes pourraient potentiellement sous-estimer leurs données pour obtenir un avantage concurrentiel ne justifie pas une inégalité de traitement causée par la rédaction de l’article 33 du DSA. Il ajoute que, dans un tel cas, des amendes peuvent être imposées aux entités qui ne respectent pas le règlement.

En réponse à l’affirmation selon laquelle une plateforme comme Zalando serait potentiellement moins dangereuse qu’une autre plateforme en ligne qui ne vend pas de produits, mais diffuse des idées, le Tribunal a jugé que les places de marchés tels Zalando (surtout si les vendeurs ne subissent pas de processus de sélection), peuvent faciliter la vente de produits dangereux ou trompeurs. Peu importe d’ailleurs que, jusqu’à présent, un processus de sélection ait été adopté vis-à-vis des vendeurs tiers. Dès lors les places de marché dans leur ensemble sont susceptibles de diffuser des contenus illicites du fait de la vente de produits et d’avoir un effet négatif sur le droit fondamental à un niveau élevé de protection des consommateurs consacré par l’article 38 de la charte.

Concernant le reproche tiré du fait que le législateur de l’Union n’aurait pas pris en compte des critères qualitatifs aux fins de la désignation des très grandes plates-formes en ligne, le Tribunal a mentionné que la Commission l’avait envisagé dans l’analyse d’impact annexé à la proposition de règlement, mais ne l’avait pas retenu en raison du fait que cela entraînerait une approche cas par cas susceptible d’entraîner une incertitude juridique et un processus long coûteux pour désigner les très grandes plates-formes en ligne.

Au vu de ces différents éléments, le critère du NMM utilisé pour désigner Zalando comme une très grande plate-forme en ligne n’apparaît pas manifestement inadéquat et ne viole pas le principe d’égalité de traitement.

L’argument suivant était fondé sur la violation du principe de proportionnalité.

Le critère du NMM ne serait pas approprié pour identifier les plates-formes en ligne les plus dangereuses. La requérante avait ainsi remarqué, à partir des rapports de transparence publiés au titre du DSA, que Zalando faisait l’objet d’un nombre de notifications nettement inférieur par rapport à la plateforme Amazon. Store au cours de certains mois de l’année 2023. Elle a ajouté qu’à la différence d’Amazon, les informations provenant des destinataires du service sont contrôlées avant d’être diffusées au public sur la plate-forme Zalando.

Le Tribunal n’a pas contesté ce point, mais il a noté que la plateforme pourrait potentiellement exposer une partie significative de la population de l’Union à des contenus illicites à l’avenir. Cela pourrait se produire si NMM demeure supérieur à 45 millions. Le Tribunal revient ici sur une partie de sa réponse antérieure en rappelant qu’il aurait été possible à Zalando de déterminer son NMM en excluant les destinataires du service qui n’avaient pas été effectivement exposés aux informations provenant des vendeurs tiers.

Le Tribunal semble offrir une porte de sortie pour l’avenir, sous réserve de mettre en place un système de décompte précis et vérifiable pour déterminer quelles personnes ont effectivement été exposées aux informations provenant de vendeurs tiers. Précisons que l’auteur de ces lignes n’a pas les compétences techniques pour savoir si cela est possible ni les éléments pour savoir si la modification de la plateforme qui permettrait à Zalando d’éviter d’être qualifié de très grande plateforme en ligne serait économiquement rentable.

On peut cependant s’interroger sur le bienfondé d’une motivation telle celle exposé ci-dessus fondé uniquement sur des risques potentiels lié à la quantification d’un nombre potentiels de destinataires, quantification difficile comme le montre clairement l’arrêt ici examiné.

La dernière défense invoquée était l’insuffisance de motivation dans la décision contestée. Cette défense a été rejetée rapidement par le Tribunal, car il a estimé que la Commission avait clairement et sans ambiguïté expliqué pourquoi elle considérait que la plateforme Zalando était une plateforme de commerce électronique et, par conséquent, un service d’hébergement.

Même si le recours a donc été rejeté, dans la mesure où le NMM doit être communiqué tous les six mois, il se peut que l’histoire ne soit pas terminée et Zalando peut, bien sûr, aussi faire appel devant la Cour de Justice.

 

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[1] Ceci a été confirmé une semaine après l’arrêt Zalando dans 2 arrêts du Tribunal concernant Meta et Tik tok (Aff T-55/24 et 7-58/24 du 10/09/2025)

[2] Voir les arrêts cités note 1 sur le calcul de la redevance de surveillance

[3] On peut se demander au vu des arrêts cités note 1 qui impose à la Commission d’adopter des actes délégués pour déterminer le mode de calcul de la redevance de surveillance si Zalando n’a pas un moyen pour faire appel devant la Cour de Justice.