Entre deux maux, choisir le moindre : quand la réintégration d’un salarié harceleur met en risque la sécurité des autres salariés, l’employeur n’est plus démuni

 

23 janvier 2025

 

| Droit social |

 

    

Guillaume Roland          

 

Un aide-soignant travaillant dans une structure s’occupant de personnes handicapées mentales, est signalé fin 2016 par une salariée comme ayant eu des comportements déplacés (avances, gestes inconvenants). A la suite d’une enquête révélant par d’autres salariées les mêmes gestes « inappropriés » (baisers proches des lèvres, caresses dans le dos), le salarié fait l’objet d’une procédure de mise à pied à titre conservatoire et de demande d’autorisation de licenciement auprès de l’inspection du travail (ce salarié étant par ailleurs délégué syndical).

L’inspection du travail refuse de donner son autorisation et c’est là que débute pour l’employeur la partie la plus délicate : tenu de réintégrer le salarié dans son emploi ou dans un emploi équivalent, il sait qu’il doit aux autres salariés une obligation de sécurité, dont fait partie intégrante l’obligation de prévention du harcèlement sexuel (C. trav., art. L. 4121-1).

A l’époque des faits, la jurisprudence de la Cour de cassation ne lui laisse guère de choix en matière de réintégration, celle-ci est obligatoire sauf en cas de disparition de l’entreprise ou d’impossibilité absolue de réintégrer …

Entre deux maux, il faut choisir le moindre comme dit le proverbe et l’employeur d’opter pour la sécurité de ses salariées sans reclasser le salarié fautif espérant que le juge administratif saisi de son recours contre le refus d’autorisation se prononcera vite et – retournement de jurisprudence aidant, dans son sens.

L’aide-soignant lui n’attend pas, prend acte de la rupture de son contrat de travail et saisit la juridiction prud’homale.

La Cour d’appel de Paris fidèle à la jurisprudence de la Cour de cassation considère que l’absence de réintégration du salarié mis à pied à titre conservatoire malgré le refus d’autorisation de licenciement constitue un trouble manifestement illicite et une violation du statut protecteur entraînant nécessairement un préjudice. Elle ajoute que les gestes déplacés du salarié « ne revêtent pas les caractéristiques d’une cause étrangère ayant empêché de manière absolue l’employeur de (le) réintégrer ».

L’employeur se pourvoit en cassation et sa position est enfin récompensée. La Cour* casse l’arrêt d’appel en lui reprochant de ne pas avoir recherché si l’impossibilité de réintégrer le salarié ne résultait pas d’un risque de harcèlement sexuel que l’employeur était tenu de prévenir. La Cour confirme ici un précédent arrêt en matière de harcèlement moral (Cass. Soc., 1er décembre 2021, n°19-25.715). Le simple risque de harcèlement est donc élevé comme critère d’impossibilité de réintégration.

 

Notre avis : trop longtemps, l’employeur a été prisonnier de règles contradictoires. La Cour de cassation le libère de certaines de ces règles mais ce n’est pas sans contrepartie sur sa responsabilité. Dorénavant, on attendra davantage de l’employeur en matière de sécurité de ses salariés, cela vaut aujourd’hui pour les cas de harcèlement, cela vaudra demain pour tous les comportements à risque de salariés (comportements addictifs, mépris répétés des règles de sécurité etc…).

 

*Cass. Soc., 8 janvier 2025, n°23-12.574

 

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